Meteora  
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Précis et fictions d’architecture

En été, par allées et par rues, Thierry Urbain marche dans les villes avec son appareil photo. Le ciel est toujours d’un bleu d’août, légèrement passé par trop de chaud, quelque chose dans l’air. Les lumières sont aveuglantes comme des angles, ABC des immeubles qu’il vient photographier. Les images sont frontales, à la hauteur du projet documentaire qu’il inaugure à l’heure de midi. Dans cette enquête sur les formes de vie en périphéries, le silence ressemble au zénith d'un jour d'été.

Mais à trop prendre telles quelles les lignes d’architectures, un autre texte vient s’écrire ; la fiction d'un désert habité. Personne aux fenêtres, des façades en pans de murs, des géométries crues : une cité découpée en projets d’habitations qui n’aurait pas trouvée ses habitants. Un quelque chose de trop haut ou de trop grand pour venir loger là. Des lignes et leurs ombres découpent l'espace comme une lame de massicot. Si une caméra, si un parasol, si un oiseau, si une fenêtre projettent des tentatives de signes de vie, l’esthétique de cette série est une question posée aux yeux de l’architecte. Où regarde-t-il quand les travaux sont finis ? Que reste-t-il de son cinéma d’habitat ? Pourquoi tant d’absences ? Des immeubles bien debout peuvent-ils parler de ruines ? Précis d’architecture, le travail de Thierry Urbain sera donc avant tout une recherche documentée des fictions faites sur nos villes. Sous un bleu out, aucune perspective.

Frédéric Lambert.



« J'aimerais, de ma puérile obstination à frapper avec mes poings nus la pierre, ne conserver, au terme de ma vie, que la vision de la blancheur infinie du mur. » — Reb Ara.
Edmond Jabès, Le Livre des Ressemblances.



Babylone était déserte ; ses hauts murs portaient leurs propres ombres immobiles. Les Météores, eux, sont habités, et les ombres éphémères qui glissent sur les façades tranquilles marquent les heures de la journée.
Babylone était abandonnée, ses secrets bien gardés au centre d'un labyrinthe de passages et d'escaliers étroits. Ici, si mystère il y a, il ne peut être que dans l'embrasure d'une fenêtre brièvement entre-ouverte, derrière les plis d'un rideau, ou encore dans la pénombre d'un balcon.
Les murs de Babylone ont été patiemment érigés, suivant des plans complexes et sacrés, sans doute rêvés, afin d'y accueillir pour l'éternité le souvenir des dieux, alors que les façades claires des Météores qui se dressent en pleine lumière ne sont que promesse de sécurité, et peut-être de quiétude. Là-bas, juste là, derrière des volets tirés, on vit à l'abri, ou reclus. Un empilement de mondes domestiques, où le temps passe et laisse des marques. Ici, des vies s'écoulent dans l'intimité de voilages décoratifs ou dans la pénombre de chambres peut-être encombrées de souvenirs.

Les architecture sacrées ont cherché à reproduire, par leurs formes et leurs rythmes, un ordre supposé de l'univers. Les Météores imposent leur ordre propre par des symétries répétées ou incongrues, par la duplication et la division de surfaces habitables. Qu'elles ne soient qu'à quelques mètres du sol, ou "suspendues au ciel", leurs façades blanches, bien que proches, affirment un ailleurs incontestable et inaccessible.